The Iran Brief®

Policy, Trade & Strategic Affairs

An investigative tool for business executives, government, and the media.

La Grande Fauche: La Fuite des Technologies verl'Est

(English title: Gorbachev's TechnologyWars)

by KennethR. Timmerman

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Chapitre 1: Le Scandale Français

 

Une saisie au Luxembourg

Ce 10 mai 1985, tout devait se passer normalement. Le transitairede la société Les Accessoires Scientifiques remet cinqcaisses aux agents d'Air France à l'aéroport deBâle-Mulhouse, d'où elles seront acheminées versParis pour rejoindre un avion cargo à destination de Moscou.Comme par le passé, il a peu de documents administratifs.C'est tout juste si l'adresse de l'expéditeur et celle dudestinataire figurent sur les caisses. Une déclarationdouanière banale ne fait pas état de la naturehautement stratégique du contenu des caisses. Ce sont deséquipements "bon à l'éxportation" quinécessisitent aucune license partilière. De lamarchandise banale, quoi.

Les Accessoires Scientifiques (LAS), dont l'adresse fournie surles caisses n'est d'autre qu'une boîte postale àConflans-sur-Lanterne dans la Haute Saône, appartient àSogexport, elle-même filiale d'une grande banquenationalisée, la Société Générale.Obscure filiation, dira-t-on. Mais LAS en jouit pleinement. Car sielle n'est qu'une simple 'boîte aux lettres,' elle n'est paspour autant dépourvue de ressources, surtoût lorsqu'ils'agit de contourner l'embargo sur les hautes technologies endirection des pays de l'Est. Comme le patron de LAS lerévélera lui-même plus tard, au moins unetrentaine d'expéditions semblables sont parvenues jusqu'enUnion soviétique par le même canal. Aucun doute:ça marche!

Mais le jour du vol SU 730, le 14 mai 1985, Air France n'a pasd'autres clients et décide, pour cause de rentabilité,d'annuler son vol cargo Paris-Moscou. Pour satisfaire à sesobligations contractuelles envers LAS, Air France achemine lescaisses par route jusqu'à l'aéroport de Findel auLuxembourg, où elles vont rejoindre le vol régulier LaHavane - Luxembourg - Moscou assuré par Aéroflot.

C'est alors qu'interviennent les douaniers du service del'inspecteur Beck, rendus méfiants par la découverte,l'année précédente, d'une cargaison d'uraniumenrichi dans ce même aéroport de Findel. Ainsis'étonnent-ils des indications portées sur les caissesde LAS, qui ne correspondent pas à la Lettre de TransportAérien (LTA) remise par Air France. De plus, la destination dece matériel leur paraît étrange. Ne faut-il pasde licence spéciale accordée par le ministère duCommerce luxembourgeois pour toute expédition de produitsindustriels en direction de l'Union soviétique? Ils savent quel'unique fonctionnaire du grand-duché chargé de laquestion, M. Oscar Schmidt, est particulièrement pointilleuxsur de semblables formalités. Après quelques jours derefléxion, le 21 mai la douane informe M. René Thil dela compagnie Luxair (le correspondant d'Air France sur place) avoirretenu l'expédition de LAS. Au même temps, par uneprécaution forfuite, elle décide de prendre contactavec le U.S. Customs Service à Paris

Aux Etats Unis c'est le service des Douanes qui est chargéde contrôler les mouvements suspects des produits de hautetechnologie d'origine américaine, que ce soit aux Etats Unisou à l'étranger. Ce contrôle à un nom:"Operation Exodus." Son but: ralentir la fuite de technologiessensibles vers les pays de l'Est et, quand cela est possible, mettrehors d'état de nuire les principaux responsables[technobandits]. Les "agents spéciaux" qui veillent augrain s'appellent entre eux des "Techbusters," nom familierdérivé d'un film populaire.

L'agent spécial JD n'eut pas besoin de longueséxplications lorsqu'il reçut le coup de fil de soncollègue luxembourgeois. Il prit la petite valise qui restaittoujours prête dans un coin de son vaste bureau du 58bis rue dela Boetie et sauta dans le premier avion en partance pour le GrandDuché. Quelques heures plus tard, en compagnie de sescollègues luxembourgeois ainsi que d'unréprésentant d'Air France, il était àpied d'oeuvre dans l'immense hangar de la zone douanière del'aéroport de Findel.

"Je ne dis pas qu'on est tombé des nus, vu ledéstinataire," se souvient l'agent spécial JD. "Maistout de même. C'était une belle prise." A l'interieurdes caisses se trouvent 3,2 tonnes de matériel sensible, d'unevaleur déclarée de 573.095 dollars. Il s'agit d'unappareil "Microetch" destiné à la gravure de circuitsintégrés par source ionique - une étapeclé dans la fabrication des "puces." Cette technologie est lacible de l'espionnage industriel soviétique depuis bien desannées. Car il ne suffit plus de "voler" des puces àl'Occident (somme tout, chose assez facile à faire, comptetenu de la taille ultra-miniaturisée des circuitsintegrés): il faut aussi les fabriquer, et en grandequantité, afin de satisfaire les besoins croissants del'industrie militaire soviétique.

.c2.Un type "reglo"

Le matériel de LAS saisi à Luxembourg provient desusines du groupe américain Veeco, situé dans le LongIsland (Etat de New York). Il est distribué en Europe parVeeco SA, dont le siège se trouve àGometz&endash;le&endash;Châtel dans la banlieue sud de Paris.Pour brouiller les pistes sur l'origine de l'appareil, LAS l'achetepar l'entremise de La Physique Appliquée Industrie (LPAI), unesociété grenobloise, qui luifait subir quelquesmodifications avant de le ré-emballer et de le remettre autransporteur, Ferry-Mougin. Classé "produitstratégique" par un arrêté du gouvernementfrançais, l'exportation de ces appareils est soumise aupréalable à l'approbation du Ministère del'Industrie, du Quai d'Orsay, ainsi que du Ministère de laDéfense et du service des Douanes. Il doit êtreobligatoirement accompagné d'une licence précisant ledestinataire réel. Cependant, comme le déclarera plustard devant la septième chambre correctionnelle de Luxembourgun des directeurs de Veeco S.A, M. Francis Steenbeke,.cesprescriptions ont été soigneusement "oubliées"par son éxportateur .. Communiquées à l'originepar Veeco à LPAI, elle ne figurent plus sur les factures queLAS présente à la Douane le 9 mai 1985. Ainsi, lesgabelous de la petite ville de Vezoul (Haute Saône)chargés du dédouanement du matériel l'ontdéclaré "bon à l'exportation" après unebrève inspection des documents. "C'est passé comme unelettre à la poste," se souvient le transporteur de Vezoul,Claude Ferry, qui a assisté à la scène."Al'époque, nous ne savions même pas ce qu'était leCOCOM. Pour moi, Richardt était un type reglo." [Entretienavec l'auteur à Vezoul, le 17 mai 1989.]

Richardt, c'est le Dr. Aimé Richardt, l'expediteur dumatériel saisi. "Reglo" n'est sans doute pas le meilleur termepour le situer... Président de LAS et de plusieurs autressociétés écran, il travaille avec l'URSS depuisplus d'une décennie. C'est un "passeur" de grande envergure,qui connaît tous les rouages du commerce avec les pays del'Est. Sans ce contretemps dû à l'annulation du volcargo d'Air France, il aurait réussi encore une fois àalimenter le complexe militaro-industriel soviétique enéquipement informatique - celui là même qui faitle plus cruellement défaut au pays de Lénine.

Qui est le destinataire des caisses du Dr. Richardt? Son client,Technopromimport V/O, est loin d'être une simple centraled'achats soviétique, comme le prétend le docteurRichardt et ses avocats. En fait, cette société d'Etatoffre une couverture commode pour masquer une opération degrande ampleur menée par les SR soviétiques: le pillagedes secrets technologiques de l'Occident. Deux de ses directeursgénéraux adjoints, Lev Pavlov et Artur N. Zolotarev,ont été expulsés de Grande Bretagne en 1971 pourespionnage. Depuis, ils ont pris du galon. Pavlov est devenugénéral au GRU, les renseignements militaires, tandisque Zolotarev est aujourd'hui colonel au KGB . Tout deux sont de finsconnaisseurs de la haute technologie occidentale, surtout de sesapplications militaires. Ils ont été nommés aucomité directeur de Technopromimport en 1980, d'où ilsorganisent la Grande Fauche.

Pour les experts en la matière, Technopromimport est l'unedes premières "agences de collection" de la VPK, la toutepuissante Commission Militaire-Industrielle du Conseil des ministressoviétique qui dirige les opérations de vol de hautetechnologie. Dans la hiérarchie de la Grande Fauche, il faitpartie de la mysterieuse "Agence IV" du ministère du Commerceextérieur soviétique. Le "client de Moscou," auquel seréfèrent souvent les avocats de Richardt, est donc leGRU en personne, le service de renseignement le plus secret del'URSS, dont la tâche principale ces dernièresannées consiste à rattraper le retard technologiqueavec l'Occident en lui volant ses meilleurs secrets. Nous auronsl'occasion de revenir plus longuement sur l'organisation de la grandefauche par le GRU et le KGB au chapitre suivant.

Quant aux machines Microtech vendues par le Dr Richardt et saisies à l'aéroport de Findel, elles font partie d'un"atelier de fabrication de mémoires à bulles,"précise l'avocat du passeur, comme s'il s'agissait debibelots. Mais les mémoires à bulles n'ont riend'innocent et le marché numéro 56-08/5254/134 que LAS aconclu avec Technopromimport est strictement militaire. Lesmémoires à bulles sont des circuitsultra-miniaturisés et très performants qui forment le'"cerveau" de bien des systèmes d'armes. Depuis une dizained'années, elles sont utilisées dans le lance-roquettesmultiple de l'OTAN (le programme MLRS, developpé avec uneparticipation française), les satellites MILSTAR, et lesordinateurs GRIDSET qu'on trouve en grande nombre dans lesunités de l'armée américaine. Trèsprisées par nos généraux pour leurdurabilité et leur résistance aux chocs, ellesjouissent d'une autre caractéristique qui justifie leurclassification sur la "Military Critical Technology List" dudépartment de la Défense et qui les rend indispensablesaux Soviétiques. Dans une guerre nucléaire, seulssurvivront les ordinateurs ou les reseaux detélécommunications fondés sur lesmémoires à bulles. Sous l'effet des énormesradiations électromagnétiques dégagéespar l'explosion nucléaire, toute autre "puce" en siliconefondra comme neige au soleil. Cette fragilité des pucesclassiques, phénomène peu connu du grand public, aengendré aux Etats-Unis le developpement des mémoiresà bulles et, plus récemment, de l'arsenure de gallium.Cette technologie manquait aux Soviétiques... jusqu'auxlivraisons d'Aimé Richardt. Grace à Richardt, lesSoviétiques en sont producteurs.

Lorsqu'il apprend la saisie de son materiél par la douanedu grand-duché, Richardt s'indigne en bon citoyen.Aussitôt il envoie une lettre recommandée à ladirection générale d'Air France, en lui rappelant saresponsabilité dans la perte éventuelle "d'unmarché de six millions de dollars, pour lequel l'acheteur[le service de renseignements militaires de l'URSS! - nda]risque d'invoquer comme cause de résolution le fait que lematériel est actuellement bloqué de votrefait."[Document en possession de l'auteur, daté du 30 mai1985.] Dans un réflexe cocardier qu'il pense efficaceà faire valoir auprès du gouvernement français,l'avocat de Richardt accuse les autorités américainesd'avoir motivé la saisie pour des raisons "d'espionnageéconomique." "Ce nouvel incident," écrit-t-il,"démontre que les Autorités Américaines[sic] n'apprécient manifestement pas qu'unesociété française se permette de lesconcurrencer efficacement dans le domaine des mémoiresà bulles qu'elles ont tendance à considérercomme leur chasse gardée."[Note du 29/5/85 de MaîtrePaul Abensour.] Comme si les fabricants américainstravaillant pour le Pentagone avaient l'habitude de vendre sciemmentce genre de technologie au GRU! Richardt va mêmeprétendre à certains amis que l'avion d'Air France quiaurait dû assurer le transport de sa cargaison jusqu'àMoscou comme dans le passé fut annulé grace àune intervention des Douanes américaines. Voir du CIA.

Heureusement, ni les autorités françaises ni cellesdu Luxembourg ne vont accepter une désinformation aussigrossière. Très vite Aimé Richardt change detactique. Le 12 juillet 1985 il tente, par une argumentationjésuitique, de convaincre le ministère duRedéploiement industriel et du Commerce extérieur queles appareils saisis à Luxembourg ne servent pas à lagravure de circuits intégrés, mais seulement à"amincir" les plaquettes de silicium ! En même temps, ilminimise le fait que le materiél en question sert à lafabrication de memoires à bulles et qu'il est frappéd'interdiction à l'exportation par le gouvernementfrançais.

Le 26 février 1986, Richardt comparaît devant laseptième chambre correctionelle de Luxembourg. Les appareilsMicrotech? C'est une technologie banale, explique-t-il, qu'on al'habitude d'exporter en URSS depuis la France. Le directeurd'Aeroflot à Luxembourg renchérit: les caisses saisiesà l'aéroport de Findel font partie d'une centaine detonnes de matériel déjà installé àMoscou grâce aux soins de M. Richardt! On croit rêver...Comme le disait Richard Perle, l'ancien "tsar" de la hautetechnologie au Pentagone, ce n'est pas d'une fuite de technologiesavancées vers l'Est dont il faut parler mais d'un "veritabledéluge!" Dans l'organisation d'un tel pillage, le Dr.Aimé Richardt apparaît comme l'un des principauxintermédiares de ces dernières années - ce qu'onappelle un passeur. Son reseau, s'il rivalise comme nous le verronsavec celui du germano-russe, Richard Müller, se veut d'un genrenouveau, légaliste. Son but, en plus de l'acquisition detechnologies sensibles, est de battre en brêche larèglementation du COCOM.

Mais le "reseau Richardt" est sous haute surveillance.Déjà au début 1983, les locaux de lasociété LAS (en fait, la maison familiale de Richardt,située dans l'enceinte des anciennes Forges de Varigney)reçoivent la visite officielle d'un agent spécial desDouanes américaines, qui s'interroge sur les exportations deLAS vers l'Union Soviétique. Cette visite provoque les foudresdu Dr. Richardt, qui saisit la Direction Générale desDouanes, ainsi que d'autres autorités, pour se plaindre d'une"initiative intempestive...[qui] ne couvre, enréalité, qu'une opération d'espionageéconomique et industriel" au profit de... son fournisseuraméricain! Au même temps, Richardt engage les servicesd'un avocat américain, Robert A. Blackstone, connu pour sadéfense d'autres cas semblabes technobandits, pour tenterd'éviter "la procèdure d'embargo ouverte contre[LAS] par l'administration américaine."

Le 23 avril 1986 les douanes américaines entrent en jeux denouveau. Dans le cadre de l'Operation Exodus ils parviennent àmettre la main sur un deuxième lot de machines destinéà LAS à l'aéroport de Burlingame en Californie.Cette deuxiène saisie, dont la valeur s'élèveà 233,000 dollars, aura comme effet de faire inscrireRichardt, LAS, ainsi que son principal sous-traitant, LPAI, sur lafameuse "liste noire" ("Denial list") du département duCommerce américain. Ce document, revisé plusieurs foispar an, comporte les noms et les raisons sociales des passeurssurpris en flagrant délit et privé par voieadministrative du "privilège" d'exporter. De la sorte, toutesociété américaine qui vend une technologieprotegée par les restrictions du COCOM à une personneou société figurant sur cette liste est lourdementsanctionnée.

"Pour Richardt, nous avons invoqué la procédured'urgence," nous revèle un responsable du Bureau duContrôle des Exportations, Mark Menefee. [Entretiens avecl'auteur le 18 et 19 mai 1989]."Cette procèdure, qui nepeut être que provisoire, est utilisée lorsqu'il fautfaire face à la ménace d'une violation imminente" desregles du COCOM. Dans le cas de Richardt, la mise au ban provisoire,qui dure deux mois, est renouvellée six fois à compterdu 23 avril 1986. "Chaque fois que l'on demande le renouvellement dela procédure," nous dit Mark Menafee, "nous sommesobligés d'apporter de nouvelles preuves de violation." Pourdire la gravité et l'étendue du cas Richardt.

.c2.Liste noire et salles blanches

Cette liste noire n'éxiste pas seulement pour la forme.Avant que son nom y figure, Richardt était l'un des meilleursclients d'une société californienne, le Quad Group,fabricant des équipements très spéciauxutilisés pour la production des circuits integrés. Ilachètait aussi du matériel sophistiqué àd'autres fabricants américains tels Pacific Western, RudolphResearch Corp, Technics, Veeco, etc. Désormais, il vapêcher ailleurs.

Mais sans aucun doute, le plus genant reste l'obligation de rompreavec Quad. Les liens entre Richardt et ce groupe installéà Santa Barbara (Californie) sont anciens. D'après denombreux documents en notre possession, il ressort que leur premiercontact date de 1980. Très vite, le 1er octobre 1981précisément, Richardt passe commande à Quadd'une "unité de production modulaire" pour mémoiresà bulles que les Soviétiques sont prêts àlui payer $4,2 millions. Pendant près de deux ans, Quadéxpédie en France une quantité importanted'appareils nécessaires à la fabrication de ces "puces"stratégiques. Richardt, agit de pair avec des sous-traitantstels La Physique Appliqué Industrie, etré-éxpedie en URSS sans le moindre souci.

En 1983, les discussions reprennent sur la deuxième tranchede la chaîne de fabrication de mémoires à bullesque les militaires Soviétiques souhaitent voirinstallée chez eux . Connu sous le nom de "BIF-2," ce contratcomprend une deuxième série de quatre Class 100 "sallesblanches", unités hermétiques où des ouvrierstriés sur le volet fabriquent des "puces" en milieustérile, ainsi que tous ses équipements. Richardtfacture le tout aux soviétiques à presque $6 millions. BIF-1 et BIF-2 servent aujourd'hui à fabriquer desmémoires à bulles en URSS, dont l'unique utilisationest militaire.

Richardt va à Moscou le 17 mai 1984 pour signer le contratBIF-2 avec Technopromimport. L'intention des Soviétiques eston ne peut plus claire: acquérir non seulement l'appareillagenécessaire à la fabrication des mémoiresà bulles, mais également le savoir-faire technologique. Avant chaque nouvelle étape du contrat, des technicienssoviétiques doivent venir en France pour suivre une formationaccélerée, facturée 187.000 dollars par stage dequatre mois. Les "cours" se déroulent à SeyssinetPariset, dans la banlieue de Grenoble, dans les locaux d'autressous-traitants du Dr. Richardt. En effet, d'après les termesdu contrat, une des salles blanches achetée par les Russesaurait dû être installée en France de façonprovisoire pour former le personnel sovietique. Au ministèrede l'Intérieur on cite les noms de deuxsociétés: LPAI, et Draxy, mais toutes deuxdémentent formellement avoir formé des technicienssoviétiques dans leurs locaux. D'après nos sources, fin1987 les Soviétiques auraient éxigé que Richardtenvoient des instructeurs français en URSS, suite à"l'harcellement" que les gentils visiteurs auraientréçus lors des séjours dans la banlieugrenobloise.

Lisant plus loin dans le contrat en notre possession, le QuadGroup précise qu'il agit comme l'agent aux Etats-Unis du DrRichardt, dans le domaine de "la coordination, l'acquisition,l'expédition, les formalités d'octroi de licence, letransport et la livraison d'équipements fabriqués parQuad Group et d'autres." Le contrat est très précis: ilporte sur la livraison d'une usine de mémoires àbulles, "destinée á être située en France", livraison pour laquelle Quad sait qu'il n'aura aucunproblème pour obtenir une licence d'exportation - encore unefois, pour la France. A la demande de Richardt, Quad n'enverra pasd'experts pour l'installation de l'usine et par conséquent"dégage par avance toute responsabilité quant àla construction de l'usine, la préparation du site, ledédouanement, le transport et le déballage sur site,"étant donné que ces étapes seront prises encharge par d'autres." Cette étrangeté finit par alerterles responsables de la firme américaine et les incite àcoopérer avec la douane. C'est la raison pour laquelle lasociété Quad peut échapper aux sanctionsprononcées lors de la saisie à Burlingame, en avril1986.

Pour Richardt, le fait que le Quad Group ait étéobligé de rompre avec son excellent client français aumois de juin 1986 n'est qu'une péripétie. Comme il nousl'a expliqué lui-même, après que nous l'ayonsjoint au retour d'un des nombreux voyages d'affaires qu'il continueà effectuer à Moscou [Le 10 octobre 1987.], "leprincipal résultat de cette affaire, c'est qu'au lieud'acheter ces machines aux Etats Unis, on les achèteaujourd'hui en Europe. La League des Concerned Scientists aux EtatsUnis - certes pas soupçonnée pour ses sentimentspro-soviétiques! - estime à quelques neuf milliards dedollars les pertes causées aux industriels américainspar cette politique stupide. Pour nous, c'est égal. Nous avonsfait notre choix. Nous n'achetons plus rien aux Américains.Même pas un crayon!" Ce n'est pas rigoreusement exact, commenous le verrons plus loin...

Cependant, on ce qui concerne les contrats BIF 2 et BIF 3,Richardt s'est alors tourné vers d'autres fournisseurs - enFrance, mais aussi au Japon et en Allemagne fédérale.C'est ainsi qu'une main anonyme a noté sur le descriptif ducontrat en notre possession les "solutions de remplacement"envisagées par LAS pour mieux déjouer lesautorités américaines. Quad Group a étéremplacé, à la page 1, par la filiale françaisede la société japonaise Rigaku. A la page 2, SemyEngineering de Juvignac (Hérault) remplace Pacific Western.LPAI Quantronix-France, Veeco S.A., Nikon-France, Hitachi France,Ferrofluides (RFA), Karl Suss France, et Tempress France sontd'autres sociétés dont les nom figurent commefournisseurs de rechange sur les listes de Richardt. "Je travaillepour une grande banque française," éxplique Richardt."Mon rôle est d'exporter."

Exporter, il va continuer à le faire, à travers lesmailles du filet de la règlementation en vigueur. Pourtant,les règles du COCOM sont claires: l'exportation de la hautetechnologie vers les pays de l'Est - et même vers certains paysoccidentaux - est soumise à une reglementation trèsstricte, qui nécessite dans beaucoup de cas des licencesprécises.

Ce n'est pas par manque de connaissance de cetteréglementation - somme tout, assez difficile àmaîtriser - qu'agit Richardt. Au contraire. Lors desperquisitions effectuées chez lui en Haute Saône en1987-1988, la DST a découvert une admirable collection dedocuments officiels concernant les règles dudépartement du Commerce, les activités derépression et de prévention des douanes et dudépartement de la Défense américains. Richardts'est procuré une partie de ces textes en utilisant la loi surla liberté de l'information (Freedom of Information Act, ouFOIA), procédure complexe dont se servent le plus souvent lesjournalistes américains pour faire "déclassifier" desnotes internes du gouvernement. Ce n'est pas une pratique accessibleà tout le monde, mais Richardt en a pleinement joui.

Ce n'est pas tout. Comme le découvrira la DST, il s'estégalement connecté par télématique surdes bases de données américaines specialiséesdans ces questions (comme celles du réseau ELISAdépandant du département de la Défense), poursuivre à la minute près l'évolution des lois surles exportations de haute technologie vers les pays de l'Est.

En parcourant la documentation américaine, Richardt atrouvé toute une panoplie de "trucs" pour contournerl'embargo. Souvent, comme dans le cas de la saisie àLuxembourg, LAS importait le matériel des Etats Unis et lerééxporait sans faire état de son origine. Plustard, lorsque les autoritiés françaises commencerontà avoir des doutes, LAS revendra le matériel àd'autres sociétés contrôlées par Richardt,ou par son partenaire à la Sogexport, Christian Amalric. Ellesauront pour mission de faire valser les étiquettes afind'acheminer le matériel (toujours le même, et toujourssans license) vers le client soviétique. Cette pratique donnanaissance dans certaines ministères français au termegénérique de "nébuleuse Richardt."

.c2.L'AsGa, le summum de la technologie de pointe militaire

En novembre 1986, au moment où il doit comparaîtreà nouveau devant la septième chambre correctionelleà Luxembourg, Aimé Richardt se trouve à Moscou.Il y affine les dernières clauses d'un contrat qui va exaucerl'un des rêves les plus chers des dirigeants de la VPKsoviétique, car il concerne un secret parmi les mieuxgardés de l'Occident. Il s'agit du procédé defabrication des circuits en arsenure de gallium - nouveaumatériau qui doit permettre aux américains deconstruire des ordinateurs si puissants que leur vitesse de calcul nesera limitée que par la vitesse de la lumière. Ladécouverte de ce que les initiés ont baptisél'AsGa a joué un rôle clé aux Etats Unis dans ledéveloppement de l'initiative de la défensestratégique (SDI), aussi appellée la "guerre desétoiles." En effet, la gestion de la centaine de satellites dereconaissance et d'attaque indispensables à l'instaurationdans l'espace d'un "parapluie anti-nucleaire" nécessite desordinateurs particulièrement puissants et compacts, capablesde résister aux pulsations électromagnétiquesdégagées par le feu nucléaire. Or, seul l'AsGaremplit de telles conditions.

Pour convaincre les sceptiques de la faisabilité duprogramme, le général James Abramson, patron du SDIO ,a l'habitude de montrer le prototype de l'un des ordinateursdéstiné à former le coeur du futursystème. Aussi puissant qu'un ordinateur central, mais plusrapide encore, la merveille du général Abramson n'estpas plus grande qu'un simple attaché-case. Son secret:être entièrement constitué de puces en arsenurede gallium.

Voilà pourquoi les Américains s'inquiétentsérieusement du nouveau contrat passé entre le Dr.Richardt et la VPK, cette fois-ci répresenté parl'Institut de Physique Solide de l'Université de Lvov, un desnombreux bureaux d'étude travaillant pour le complexemilitairo-industriel de l'URSS. Au département de laDéfense, on reconnaît que Richardt s'apprêteà livrer aux Russes une technologie "d'une immense valeurmilitaire et stratégique." Connu sous le nom du Molecular BeamEpitaxy, ou MBE, c'est le procédé utilisé pourla fabrication en série (la faiblesse chronique desSoviétiques) des puces en arsenure de gallium. Dèslors, s'engage une véritable poursuite entre lesautorités françaises - prévenues par lesAméricains - et le Dr Richardt.

Les nouvelles manœvres de celui-ci nous sont connues par untelex des renseignements militaires américains. . Lapremière phase du contrat, qui date du mois de mars 1986 etporte sur 7.2 millions de dollars, concerne l'établissementd'un "atelier de production pilote pour l'étude de l'arsenurede gallium" et la "fabrication en faible quantité de circuitsspeciaux." La rapidité de l'opération prend de courtles autorités françaises, qui pensent que leséquipements proviennent de sociétésaméricaines telles IONEX, et que "Richardt fait valser lesétiquettes, substituant celles de LAS ou de LPAI auxaméricaines." [Entretien avec un fonctionnaire du Quaid'Orsay chargé des affaires économiques (et donc leCOCOM), le 12/10/87.] Cependant, la phase critique desnégotiations a lieu à Moscou en octobre-novembre 1986,Richardt s'étant engagé à livrer à sespartenaires le procedé même de la production ensérie des "wafers" d'arsenure gallium, ainsi qu'une chainecomplète de fabrication - le summum de la technologie depointe militaire des Etats Unis.

En effet les procédés de production de ce nouveaumatériau sont si secrets, qu'en juin 1987 laDélégation Générale de l'Armementfrançais reconnaissant la dépendance totale de l'Europeen la matière, propose à ces partenaireseuropéens des recherches en commun sur l'AsGa. 400 MF sontdébloqué dans le cadre de l'Eureka pour aider cesrecherches. Quant aux Américains, ils considèrent quecette technologie est trop sensible encore pour l'exporter àquiconque, même à leurs alliés. A l'exceptiond'une poignée de firmes américaines, telles TRW,Rockwell, Westinghouse, Honeywell, et Hughes, qui travaillentuniquement pour la Pentagone, la production de l'AsGa n'est pasindustrialisée. Les quelques sociétés japonaiseset européennes (dont Thomson-CSF) qui s'y interessent n'ontpas dépassé le stade éxperimental. Cependant, onévalue ce marché à plus de deux milliards dedollars d'ici 1992, tant les besoins militaires seronténormes. Si le Dr. Richardt réussit son coup, lesSoviétiques peuvent être susceptible de maîtrisercette nouvelle technologie.

Richardt et son patron à la Sogexport, Christian Amalric,s'en défendent. Ils n'ont évidemment jamaisexporté de l'AsGa en URSS. "Nous avons justeprésenté à un ministère une demande surl'eventuelle possibilité d'exporter ce type dematériel," déclare Richardt à l'EstRépublicain le 19/10/87. "Je n'ai jamais reçu deréponse." Dans l'administration, on reconnait la demande deRichardt. "Richardt voulait que l'on présente le cas devant leCOCOM et nous avons refusé. Tout de même. Il fautêtre serieux." [Entretien avec l'auteur le 27/4/89[with Dournel].]Son argumentation? Que les polonais, avecla société d'etat Elwro, ainsi que les chinois selancaient déjà dans la fabrication des composants enAsGa. Mais comment? D'où tiennent-ils la technologie?Mystère...

Notre enquête nous a permis de décourvrir oùle Dr. Richardt pensait obtenir les technologies de l'arseniure degallium qu'il proposait aux Soviétiques. Sa meilleur sourcen'est ni américaine, ni japonaise. Elle est française!Il s'agit d'un chercheur d'origine vietnamien agé de 48 ans,qui a passé la plupart de sa carrière dans leslaboratoires de recherche de Thomson-CSF. Il s'appelle Linh T.Nuyen.

.c2.Une source française

En 1979, Linh réussit à développer, àla tête d'une équipe de chercheurs au LaboratoireCentral de Recherches de Thomson, un transistor à based'arseniure de gallium que l'on appelle le transistor à hautemobilité électronique, ou HEMT (high mobilitytransistor). Mais au fil des années, il dévient deplus en plus frustré chez Thomson. Il rêve de "vivre unaventure que les américains rencontrent souvent." En fevrier1986, avec deux autres chercheurs et des encouragements de laDélégation Générale de l'Armement, ilquitte la grande maison et crée sa propresociété pour éxploiter le nouveauprocédé. Cette société, qu'il appellePicogiga, emploie actuellement une vingtaine de personnes dans labanlieu "high-tech" des Ulis au sud de Paris. Pour les cinq premiersmois de 1989, elle réalise un chiffre d'affaires de 7 millionsde francs. Elle fabrique les wafers en AsGa, la matière debase sur laquelle ces clients, fabricants de "puces", vont graver lescircuits integrés par photolithographie.

"C'est vrai que Richardt m'a approché," nous arevelé le PDG de Picogiga, Linh Nuyen. [Entretien avecl'auteur le 19/5/89.] "Je le connaissais déjàdepuis un certain temps. Il était un de nos fournisseurslorsque j'étais à la Thomson. Richardt a dû venirme voir vers la fin1986 peu de temps après la créationde Picogiga. Il voulait commercialiser nos produits en UnionSoviétique. Je lui ai dit, allez-y, mais seulement si vousobtenez une license d'exportation. Ce qui me semblait totalementéxclu."

A quel point Nuyen a-t-il encouragé les instinctscommérciaux de Richardt? "Je lui ai fourni des fichestechniques - rien de sécret - sur nos produits, ainsi que desoffres de prix. Richardt était plutôt interessépar les produits finis - c'est à dire, les wafers en arseniurede gallium - et non par le procédé de fabrication. Ilespère toujours pouvoir l'exporter. Ainsi me dit-il de tempsà autre qu'avec l'atmosphère de perestroïka onpourrait faire un joint venture avec les Soviétiques. Quisait?"

Nuyen n'est pas un naïf. Il connait bien la naturestratégique de son invention, ainsi que l'AsGa engénéral, et admet volontairement "qu'en UnionSoviétique, il n'y aura aucune application civile pour cegenre de technologie. Aucune." Lui-même travaille ensous-traitant sur le gigantesque programme MIMIC (millimeter wavemicrowave monolithic integrated circuits) lancé il y aquelques années par le DoD américain. Et sasociété est primée par un juréaméricain pour ses développements sur l'AsGa lors del'exposition COMDEF 88, qui réunit chaque annéeà Washington les meilleurs technologies de pointe militairesdes pays alliés aux Etats Unis. "Une des applications la plusimportante de l'AsGa est dans les radars militaires,"éxplique-t-il, "où il faut monter de plus en plus enfréquence pour gagner en furtivité. Avec l'AsGa, onpeut obtenir des fréquences de plusieurs gigahertz, alorsqu'aujourdh'ui l'on calcule en megahertz . Si l'adversaire n'a pas lamême technologie, il ne peut plus suivre, ce qui fait que vosémissions radars deviennentt parfaitement furtives."

L'intérêt militaire d'une telle discretion radar esténorme. A l'heure actuelle la grande faiblesse reconnue desavions de combat vient justement du fait que lorsqu'ils allumentleurs radars (pour détecter des avions adverses, ou prendre encompte une cible lointaine) ils deviennent "visibles" malgrétous les autres efforts faits pour les rendre discrets. Avec l'AsGa,ils pourraient devenir quaisi-invisibles - à moins que quelquecommerçant peu regardant ne livrent aux Soviétiques lamême technologie...

.c2.Déboires à Grenoble

Les déboires de Richardt avec les services des Douanes nes'arrêtent pas là. I lutte avec achernement contre lessaisies multiples dont il est l'objet. Ainsi, après 14audiences et deux ans et demi de procédure dans l'affaire duLuxembourg, les avocats de Richardt obtiennent un premier jugement endate du 3 décembre 1987 qui absout Richardt de toute intentionfrauduleuse. Néanmoins, le tribunal correctionnel maintient ladécision des Douanes de confisquer l'appareil "Microetch" à cause de sa nature "stratégique." Seize mois plustard, le 11 avril 1989, la Cour d'appel de Luxembourg annule cejugement et condamne les douanes luxembourgeoises à rendrel'appareil à LAS et à lui verser des dommages etintérêts de 1% par mois de la valeur de la machinependant toute la durée de sa confiscation, soit 48 mois. Maisles Douanes font appel à leur tour, et la machine demeure dansun hangar sous scellés.

En janvier 1988 c'est au tour des Douanes françaisesd'agir. Discrètement. A l'instigation du ministre del'Economie et des Finances, M. Edouard Balladur, elles portentplainte contre Richardt en vertu de l'Article 414 du Code des Douanesqui fixe les pénalties pour toute violation du contrôlede la destination finale. Mais au lieu d'annoncer la plainteofficiellement, les douanes la laissent filtrer à travers lapresse à la veille d'une réunion au sommet du COCOMà Versailles, où les américains sont venus pourtaper sur la table - justement, au sujet de Richardt . Les violationsau titre de l'article 414, qui est encore renforcé le 5 mars1988 lors de la remise à jour de "L'avis aux importateurs etaux exportateurs relatif aux produits et technologies soumis aucontrôle de la destination finale," peuvent êtresanctionné d'une peine administrative de trois ans maximum etd'une amende équivalant à plusieurs fois la valeur dela marchandise confisquée. Mais à notre connaissance,cette plainte des Douanes n'est jamais instruite, en dépit del'épaisseur du dossier. [TKTK Updateeventually]]

Ce n'est pas le cas d'une autre enquête, menée cettefois-ci par le bureau des Douanes de Saint-Egrève, dans labanlieue de Grenoble.

Le 23 décembre 1988 la société CalbersonInternational, en qualité de transporteur pour Neyco S.A -membre de plein droit du "Reseau Richardt" - dépose au bureaudes douanes de Grenoble une déclaration EX 1 No. 424761 pourl'exportation définitive à destination deTechnopromimport à Moscou d'un "accélérateur departicules". Pour Neyco cet appareil, d'une valeur de 4.670.000 Frs,est "libre à l'exportation." Mais Richardt a senti le venttourner. "Par surcroit de précaution," éxplique sonavocat , la demande d'exportation est assortie de deux expertisesréalisées par des correspondants du Reseau Richardt,l'américain Ken Purser, President d'un des fournisseurs deRichardt, IONEX de Newbury, Mass (USA), et Monsieur Gautherin,Directeur du Laboratoire de l'Institut d'Electronique Fondamentaled'Orsay. Le but: convaincre ces douaniers de province, tout commeceux de Vezoul auparavent, qu'il s'agit d'une marchandise banale.

Erreur. Rendu suspicieux par de telles précautions, lesdouaniers de St. Egrève décident de bloquer l'appareilet le font déposer au camp militaire de Vars, au momentmême où Richardt reçoit la visite de deuxinspecteurs des Douanes à Paris, Mrs Lubrano et Mourot, venusdans les locaux de la Sogexport l'interroger sur lesactivitiés de la Neyco. Ils ne seront pas dupe de la valse dechapeaux que pratique Richardt, qui se présente un jour commele Président de Neyco, et le lendemain comme employéede la Société Générale, le gérantde LAS, ou encore le réprésentant en Europe de tel outel fabriquant américain.

Quatre jours plus tard, Calberson et Richardt sontconvoqués pour le lendemain au camp de Vars à assisterau déballage des quelques dix-huit caisses. Comme ce fut lecas à Luxembourg, une bonne partie de l'appareil estemballé sous vide, un bon "truc" utilisé par d'autrestechnobandits pour décourager la curiosité desdouaniers, qui craignent les coûts exhorbitants duréemballage en cas d'erreur.

Richardt, qui se trouve à quelques heures de voiture dulieu de la convocation, décide d'éviter laconfrontation et choisit de prendre un train pour Paris cejour-là. De Paris, il prendra l'avion pour Grenoble le 29décembre - bien après l'inspection de l'appareil parles experts nommés par la Douane. L'absence de Richardtà cette scéance va motiver son avocat lors de sapremière apparition devant le Tribunal de Grenoble le 28fevrier 1989 à reclamer l'annulation pûr et simple de laprocédure. C'est bien commode.

De quoi s'agit-il au fond? Les Douanes prétendent, fortesde l'inspection par des éxperts homologués par leMinistère de la Défense, que l'appareil saisi est un"implanteur d'ions lourds" déstiné à lafabrication de semi-conducteurs, et "qu'en conséquence, sonexportation est soumise à une licence par application de laréglementation du contrôle de la destination finale." Quoique très similaire à celui de Luxembourg, cetappareil resulte d'un nouveau contrat signé par Richardt avecTechnopromimport à Moscou en octobre 1986. Le 4 septembre dela même année, c'est à dire avant la signature,Neyco dépose une demande de licence d'exportationauprès du Service des autorisations financières etcommerciales (SAFICO), pour un appareil qualifié"d'accelérateur d'ions lourds."

Ce n'est pas la seule demande du genre. A partir de mai 1986,d'après nos sources, Richardt dépose pas moins de onzedemandes de license pour l'URSS pour ces appareils, d'une valeur de300 MF. C'est que Richardt "est devenu la principale sourced'implanteurs d'ions pour l'URSS," d'après un hautfonctionnaire du Ministère de l'Industrie. Trèsprobablement ces demandes de licenses concerne la troisièmetranche du fameux contrat BIF, c'est à dire l'usinecomplète, à grande cadence de production, desmémoires à bulles, que l'américain Steve Bryencraint de voir utilisées par les Soviétiques pourmoderniser les systèmes de guidage de leurs missilesballistiques. Même si depuis Luxembourg "80% de la technologiequ'exporte Richardt est française," dit-on au ministèrede l'industrie, il continue à importer du matériel desEtats-Unis. Et parfois, avec la bénédiction (oul'erreur) du Département du Commerce. Ainsi, un implanteurd'ions lourds "Tanditron," doté d'une source ionique puissante(400 kV) et fabriqué par la société IONEX deMassachussets, reçoit l'appellation "libre àl'exportation" du DoC en août 1987 - au grand dam desautorités françaises qui essayaient d'en bloquerd'autres. Commentaire amer d'un responable du Quai d'Orsaychargé de ce dossier: "On ne peut pas être plusroyaliste que le roi." En occurence, les américains.

Trois demandes de license sont alors accordées quatrerejetées, et quatres autres ne reçoivent pas de suite -ce qui en droit administratif, signifie que la demande estrejetée. L'une d'entre elles concerne l'appareilfabriqué par une société de la banlieue"high-tech" de Grenoble, Irelec.

Mais Richardt prétend ignorer cette finesse du droitadministratif. En mars 1988 il renégocie un des contrats avecTechnopromimport pour proposer un appareil "extrêmementallegé" qui sert à l'analyse de la pureté desmatériaux (autre étape clé dans la fabricationdes "puces" ou mémoires à bulles), mais qu'iléstime pouvoir exporter sans licence. Néanmoins,d'après la déposition des Douanes devant le Tribunal deGrenoble, l'appareil qui est fabriqué par Irelec est toujoursfacturée à la Sogexport le 28 juillet 1988 comme un"accélerateur d'ions lourds," et donc soumis à licence.Richardt insiste et prétend qu'il s'agit d'un"accélerateur d'ions légers" parfaitement libreà l'exportation. Une belle bataille d'experts, quoi!

Richardt demande un contre-éxpertise pour prouver sa bonnefoi. C'est alors que son avocat informe le Tribunal de Grenoble quel'expert choisi n'est d'autre que... Linh T. Nuyen, Présidentde la société Picogiga, l'homme que Richardt acontacté pour la fourniture d'arseniure de gallium! Dans sonexpertise, daté du 10 febrier 1989, M. Nuyen conclut en faveurdes thèses de Richardt.

"Nous savions que la plupart des exportations de Richardtétait destiné aux pays de l'Est," nous temoigne leDirecteur Général Adjoint d'IRELEC, Jean-Loup Rechatin.[Entretien avec l'auteur le 3/19/89.] "C'est saspécialité. Richardt est l'une des deux ou troispersonnes en France dont le travaille consiste à promouvoirles exportations des PME de haute technologie au pays de l'Est. Il aune reputation dans le milieu."

Laquelle? "Richardt a été obligé d'utiliserun bon nombre d'artifices, c'est vrai. Quoi qu'il fasse, c'est unhomme qui attire les suspicions. Si moi, j'avais moi-mêmedemandé ce genre de licence, très probablement jel'aurais eue. Mais Richardt? C'est quelqu'un considérécomme suspect. Il a une connotation d'espionnite."

Ce qui n'a pas empêché Rechatin, ni Irelec, de fairedes affaires avec lui. "Bien sûr nous nous sommesinterrogés," poursuit J.Loup Rechatin. "Mais nous n'avons pasà imposer à une société telle queSogexport les procedures qu'elle doit utiliser pour l'exportation.Elle gère ses exportations comme elle le souhaite. Nous nesommes que fabriquant."

Ce qui n'est pas tout à fait éxact, non plus. Lemarché passé avec Neyco/Sogexport n'est pas lapremière livraison d'Irelec à Moscou. Fin 1987, parl'intermédiaire d'un négociant à Moscoudénommé Olivier, Irelec a livré plusieursaccelerateurs de neutron à l'Academie des Sciences - relaiimportant du KGB pour l'achat de la haute technologie occidentale. "Je les ai moi-même installés ," nous préciseRechatin, "à l'Institut des Métaux Rares de l'Academie.Et c'est là que j'ai vu d'autres implanteurs d'ions de lasociété IONEX, ainsi que des machines 200 kV "Scanibal"du luxembourgeois Balsef. Tous peuvent être dopé pouratteindre 400 kV" - les performances nécessaires à lafabrication de "puces."

Quoi qu'il en soit, l'administration est formelle: "Richardt saitmaintenant que toutes ses exportations vers les pays de l'Est serontsurveillés à la Douane. Cela devrait l'inciter àplus de prudence!" Au sein du SDGN, qui s'est doté recemmentd'une cellule "haute technologie," on crie victoire: "Pour les Russes, Richardt est un homme brulé." [Entretien de l'auteur, 26octobre 1988.]

C'est la manière française de neutraliser lesfaucheurs. "Au lieu de les traduire en justice, la France a tendanceà les mettre au ban," ironise l'americain Steve Bryen.["France now is doing a good job, although it tends to"ostracize" offenders instead of prosecuting them." Cité dans"Low Profile Group Affects Billions in World Trade," dans The Journalof Commerce, 22 september 1987.]

Effectivement, le procédé est particulier.

Et pas forcément éfficace. Car encore aujourdh'ui,en dépit de ses difficultés, le Dr Richardt continueà défier le COCOM et à aider l'Unionsoviétique à combler son retard technologique surl'Occident. Nous allons voir comment.